Gilbert Augustin QUARANTA

                            

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 Dis papy parle moi de ta vie en Algérie !



 

L’autre jour, j’étais  dans mon bureau plongé dans le classement  de vieilles photos. Mon petit-fils est arrivé et m’a demandé :

« Que fais-tu papy ?

-Je classe des photos d’Algérie.

-J’aimerais que tu me parles de ce pays.

-Avec plaisir. C’est là que je suis né et plus précisément à Souk-Ahras qu’on appelait le Petit Paris.

-Mais pourquoi l’avait-on surnommé ainsi ?

-Tout simplement parce que c’était  une très belle ville où il faisait bon vivre. Les jardins y étaient fleuris. Les senteurs du jasmin, du mimosa, des myosotis, des roses et de bien d’autres fleurs qui s’en dégageaient embaumaient l’air et étaient enivrantes.

-Mais de là à la comparer à Paris !

-Tu sais, mon chéri, quand tu aimes quelqu’un ou quelque chose, à tes yeux rien n’est plus beau. Pour nous, c’était la plus belle ville du monde, comme Paris l’est.

-Parle-moi d’elle.

-C’est une ville merveilleuse où j’ai vu  le jour ainsi que mon papa, ma maman, tes arrières grands- parents et les miens. Mon arrière grand-mère n’avait que 3 ans quand elle est arrivée à Souk-Ahras.

-Mais d’où venait-elle ?

-D’Italie. A cette époque, la vie là-bas était très difficile pour les gens modestes. Mes aïeux étaient issus de familles de mineurs. Un jour les mines furent fermées

Ces pauvres gens se retrouvèrent sans travail. Deux solutions s’offraient à eux : mourir de faim en restant sur leur terre natale ou s’expatrier vers un autre pays.

-Et le pays qu’ils ont choisi,  c’était l’Algérie ?

-Oui ! Dans sa grande bonté, la France ne voulant pas recevoir sur son territoire tous les immigrants  (Italiens, Maltais, Espagnols) leur proposa de venir s’installer en Algérie. Des convois furent organisés et c’est par bateaux qu’ils arrivèrent sur cette terre inconnue pour eux et qu’ils imaginaient être un Eldorado.

Ils se rendirent rapidement compte que l’Algérie n’était pas forcément une terre promise où ils pourraient s’enrichir. Les conditions de vie étaient très difficiles.

A l’époque, le pays comptait de nombreux marécages et les épidémies y étaient fréquentes.

La population locale était constituée de tribus, plus ou moins importants, avec à leur tête un chef. Ces tribus faisaient du commerce, se déplaçaient avec tout ce qu’elles possédaient. C’étaient des nomades qui vivaient modestement.

-Alors ils ne se sont pas enrichis ?

-Aucun d’entre eux n’a fait fortune. Leur seule richesse, c’était l’amour pour cette terre qui a été si dure pour eux.

Ils se mirent rapidement au travail et commencèrent à bâtir la ville de Souk-Ahras dont ils voulurent faire une belle ville où ils faisaient bon vivre, où régnait la paix, où se côtoyaient toutes les populations en harmonie parfaite.

Une mosquée fut construite en 1857 ainsi qu’une chapelle, puis une synagogue. Ainsi chacun put pratiquer sa religion sans aucun souci.

Avec courage, ils firent sortir de terre un hôpital militaire, un hôpital civil, des écoles, un théâtre, une salle des fêtes et la ville commençait à prendre forme avec ses rues bordées de trottoirs étroits, ses quartiers tirés au cordeau.

-Ces nouveaux habitants avaient-ils réussi leur nouvelle vie ?

-Je pense que oui malgré les difficultés qu’ils ont rencontrées.

-As-tu vécu longtemps là-bas ?

-16 ans ;

 

-Quelle était ta vie ?

-Celle d’un petit garçon, né dans une cour qui comprenait 5 appartements. Nous entrions par un grand porche constitué de deux portes battantes en bois très épais, difficiles à ouvrir.

A gauche, habitait la famille Sales. Une famille très gentille avec qui nous entretenions des liens de voisinage très forts, à côté des Sales, une autre famille inoubliable, je me souviendrai toujours de Louisa, la maman. Un jour qu’elle allaitait son bébé, elle surprit mon regard et me demanda d’une voix douce si j’avais faim. J’avais alors 14 mois et comme chez nous, mes parents étant modestes, nous n’avions pas grand-chose dans nos assiettes, je lui répondis oui.  Je me précipitai sur cette poitrine qui s’offrait à moi, et à grandes gorgées, je bus ce nectar tant convoité. Plus rien n’existait autour de moi.

-Mais si tu as bu le lait de cette femme, c’était ta nouvelle maman ?

-Non pas du tout, c’était ce qu’on appelle une mère de lait et c’est pourquoi je ne l’ai jamais oubliée.

-Et son enfant, comment s’appelait-il ?

-Saïd. Mais malheureusement, je l’ai perdu de vue et j’aimerais tant le retrouver.

-Y avait-il d’autres habitants ?

-Il y avait les Bosco. De vielles personnes qui vivaient là depuis longtemps. Et une autre famille avec qui nous partagions la galette et le petit-lait. Le mari partait tous les matins au marché et revenait avec un couffin (un panier) rempli de fruits et de légumes. La femme ne sortait que rarement, seulement pour aller au bain maure.

La cour était séparée par un grand escalier qui menait à une terrasse où les ménagères lavaient le linge et l’étendaient, à tour de rôle ou ensemble.

Dans cette cour, toujours animée, des odeurs de cuisine se mêlaient. J’ai encore l’impression de sentir le parfum de cuisson du couscous, de la chorba, de la manoukhia, de la daube, de la polenta.

Je revois encore toutes ces femmes assises en tailleur pétrissant une pâte épaisse qui donnera cette galette, ce délicieux pain chaud et légèrement croustillant.

 

Les WC, à la Turc, étaient communs et l’eau coulait en abondance. De ce fait le sol était toujours trempé.

 

-Et ton appartement comment était-il ?

-Nous entrions directement par la cuisine (qui servait aussi de salle de bain) et deux chambres la jouxtaient.  Notre intérieur était sobre et modeste.

Une horloge rythmait nos journées. Tous les quarts d’heure le carillon égrenait sa musique : Tin Tin Ton Ton et comme nous avions un oncle qui s’appelait Augustin mais qu’on surnommait Tintin, nous reprenions en chœur Tonton Tintin.

 

Dans cette maison, semblables à beaucoup d’autres, comme je te l’ai déjà dit, nous vivions en harmonie, musulmans, juifs, chrétiens, dans un respect mutuel. Les mots racisme, antisémite, haine, intolérance  nous étaient inconnus. Nous nous entraidions les uns et les autres.

Nous les enfants, Mohamed, Moustafa, Hocine, Norbert, Gilbert, Christian, Charley, David, nous partagions les mêmes bancs d’école, les mêmes jeux. Nous étions tous les enfants de Thagaste.

Voilà mon garçon, la vie telle que je l’ai vécue dans notre ville natale.

-Tu as donc aimé cette ville ?

-Je l’ai beaucoup aimée et je l’aime encore. C’est pourquoi j’y retourne de temps en temps car elle me manque comme à ceux qui sont loin d’elle.

Je ne pourrai jamais l’oublier.

-Merci mon petit Papy pour ce joli voyage et tu sais, grâce à toi, moi aussi je l’aime ton Petit Paris ! »

                                                                                                                     Gilbert Augustin QUARANTA

                                                                                                                            www.thagaste.com